Petite histoire du livre imprimé. Chapitre 3 : La seconde partie du XVIe siècle


Catégorie : Archives
dates : 2023-08-01 -
Lieu :
Auteur : Lou Siekel

La rétrospective chronologique du livre imprimé continue à la médiathèque ! Comme le mois dernier, venez contempler dans nos vitrines des ouvrages du fonds patrimonial dont nous tournerons les pages de semaine en semaine.

Le mois dernier, il était possible de découvrir quelques livres imprimés de la première moitié du XVIe siècle. Ce sont à présent trois livres de la seconde moitié du XVIe siècle qui vous sont proposés : un livre sur les provinces romaines antiques de 1551, un traité sur les poissons de 1554 et un manuel sur les dieux et croyances des Romains de 1581.

Comme souvent, les livres du fonds patrimonial nous réservent quelques surprises. Ce mois-ci, nous avons découvert dans l’exemplaire de l’Image des dieux des anciens conservé à la médiathèque une gravure dont un morceau a été découpé. Avez-vous une idée que ce qui pourrait être représenté sur le fragment manquant ? Réponse en image dans les commentaires grâce à un exemplaire différent numérisé par une autre bibliothèque. A ne pas reproduire dans les livres de la médiathèque !

À venir découvrir du 7 mars au 1er avril dans les vitrines situées à l'entrée de la médiathèque. Pour les ouvrages de la première moitié du XVIIe siècle, rendez-vous le 4 avril.

 

Point d'histoire

 

Dans la seconde partie du XVIe siècle, le livre imprimé achève de s’émanciper du manuscrit. Une centaine d’années après la mise au point de l’imprimerie, les livres produits ont à présent une identité propre. Croissant en qualité et en quantité, la production livresque s’ouvre également davantage à d’autres langues, genres, sujets... La généralisation de la gravure sur cuivre (ou taille-douce) permet de produire des illustrations d’une grande précision et d’une grande finesse, même si elle ne fait pas disparaître les gravures sur bois pour autant.

 

Les livres du mois

 

Wolfgang Lazius. - Commentariorum Reipub. romane illius, in exteris provinciis, bello acquisitis, constitutae, libri duodecim… - Bâle, Johann Oporinus

Wolfgang Lazius. - Commentariorum Reipub. romane illius, in exteris provinciis, bello acquisitis, constitutae, libri duodecim… - Bâle, Johann Oporinus, 1551. – in-folio.

Médiathèque Samuel Paty, fonds ancien, cote 20008

Wolfgang Lazius (1514-1565) est un érudit humaniste autrichien. Ses activités sont nombreuses : il est aussi bien historien que cartographe, médecin et professeur de médecine.

L'empereur Ferdinand Ier (1503-1564) en fait son médecin personnel, son historien officiel et le conservateur des collections impériales du Saint-Empire romain germanique. A ce titre, il écrit et réalise un certain nombre d'ouvrages historiques et de cartes : la première histoire imprimée de la ville de Vienne, des cartes de la Hongrie, des cartes et un atlas historique de l'Autriche… Ses recherches l'amènent à voyager fréquemment, à l'occasion de quoi il amasse, mais dérobe également, des documents provenant de monastères et de bibliothèques. La personnalité de Wolfgang Lazius reste fortement associée à l’univers des bibliothèques : c’est lui qui aurait inspiré Giuseppe Arcimboldo pour son tableau intitulé Le Bibliothécaire.

Le Commentariorum Reipub. romane illius… contient douze livres qui portent sur l'organisation politique, militaire, religieuse et civile des provinces romaines conquises sous la Rome antique. Il est agrémenté de trois planches gravées dépliantes hors texte et de deux gravures pleine page, ainsi que de quelques vignettes au fil des pages. Les gravures représentent respectivement les armes et vêtements des dignitaires romains, les bâtiments, l'agencement d'un camp militaire, et l'organisation de tactiques et de formations militaires.

La réalisation par Wolfgang Lazius d'un ouvrage tel que le Commentariorum Reipub. romane illius.. n'est pas anodine. Certes, il existe à la Renaissance un attrait certain des érudits pour l'Antiquité, mais ce n'est pas la justification principale pour expliquer que Wolfgang Lazius ait entrepris l'écriture d'un ouvrage sur les institutions provinciales romaines. Wolfgang Lazius est à l'époque au service du Saint Empire romain germanique, une puissante entité politico-religieuse (alors dirigée par l'empereur Ferdinand Ier), qui se réclame de l'héritage de l'Empire romain antique et qui se considère comme le successeur de ce dernier. Dans ce cadre, l'écriture d'un tel ouvrage a une dimension fortement politique.

 

Ippolito Salviani. - Aquatilium animalium historiae, liber primus, cum eorundem formis, aere excusis. – Rome, Ippolito Salviani

Opera Vergiliana . - Lyon : J. Sacon, 1517. – Illustrations gravées sur bois ; in-folio.

Médiathèque Samuel Paty, fonds ancien, cote R-FOL-28365

Ippolito Salviani (1514-1572) est un médecin, zoologiste et botaniste italien. Arrivant à Rome à la fin des années 1530, il acquiert une réputation solide et devient médecin officiel du pape Jules III en 1550 (le restant ensuite sous les pontificats de Marcel II et Paul IV) tout en continuant d'enseigner la médecine à l'université de Rome jusqu'en 1568.

Il se fait connaître en parallèle comme naturaliste et se spécialise dans l'étude des animaux marins. Il dissèque lui-même dans son cabinet de travail les poissons qu'on lui envoie de toute l'Italie et collectionne des échantillons naturalisés et des représentations de créatures aquatiques.

Entre 1554 et 1558, il fait paraître l'Aquatilium animalium historiae dont nous présentons ici un exemplaire de l'édition originale. Ce traité d'ichtyologie, consacré aux poissons et à divers autres "habitants du royaume des eaux" (parmi lesquels quelques invertébrés et céphalopodes), est abondamment illustré au moyen de 99 planches hors texte gravées sur cuivre. Ce livre est par ailleurs le premier à utiliser la technique de gravure sur cuivre pour représenter les poissons. Les gravures sont en grande partie l'œuvre d'Antoine Lafréry (1512-1577) et de Nicolas Béatrizet (vers 1510-vers 1577) réalisées d'après celles de Bernardus Aretinus (actif au XIVe siècle). Ippolito Salviani imprime lui-même son traité dans son propre atelier typographique à Rome.

Il fournit en outre de nombreuses informations sur les animaux aquatiques. Ippolito Salviani donne pour chaque espèce la dénomination en grec, en latin savant et en latin vulgaire qu'il accompagne de longues notices. Il tente également de dresser la liste des noms donnés par les auteurs anciens aux différentes espèces. Pour autant, son ouvrage contient également des approximations et des informations fantaisistes. Les gravures ne sont pas toujours rigoureuses quant au nombre d'écailles, de nageoires, de tentacules des animaux marins. Il n'en demeure pas moins l'un des plus beaux ouvrages jamais publiés sur les poissons.

A la même période, Guillaume Rondelet et Pierre Belon, qui connaissent Ippolito Salviani, publient de leur côté des traités similaires. Tous les trois ont pour point commun d’avoir mené leurs propres observations, à partir desquelles ils ont fourni de nouvelles représentations des créatures aquatiques, au lieu de simplement reprendre les représentations et conceptions des savants anciens. Leurs travaux ont une importance capitale pour l'ichtyologie jusqu'au XVIIIe siècle encore.

 

Vincenzo Cartari, trad. Antoine du Verdier. - Les images des dieux des anciens, contenans les idoles, coustumes, ceremonies et autres choses appartenans à la religion des payens.

Vincenzo Cartari, trad. Antoine du Verdier. - Les images des dieux des anciens, contenans les idoles, coustumes, ceremonies et autres choses appartenans à la religion des payens. – Lyon, Guichard Julliéron pour Etienne Michel, 1581. – in-4°.

Médiathèque Samuel Paty, fonds ancien, cote 22948

Vincenzo Cartari (1531-1593) est un mythographe (c’est-à-dire un auteur qui étudie et explique les mythes anciens), secrétaire et diplomate de la Renaissance italienne ayant travaillé au service de la maison D’Este dans les cours d’Italie et de France. Il est le premier à avoir traduit en italien les Fastes d’Ovide (qu’il publie en 1551 et en 1553), une œuvre poétique portant sur le calendrier romain et les fêtes religieuses et prodiguant de nombreuses informations sur les dieux et les croyances religieuses des Romains. C’est en traduisant et en commentant l’œuvre d’Ovide que Vincenzo Cartari acquiert une grande connaissance de la culture et des mythes de l’Antiquité romaine et que lui vient l’idée d’entreprendre l’écriture d’un manuel mythographique (Le Imagini con la sposizione de i dei de gli antichi) publié pour la première fois à Venise en 1556. Comme c’est de plus en plus le cas au cours du XVIe siècle, l’ouvrage est initialement rédigé en italien (et non en latin). Il est ensuite traduit en plusieurs langues : nous en présentons ici la traduction française (Les images des dieux des anciens), réalisée par Antoine du Verdier (1544-1600), publiée en 1581 à Lyon par Guichard Julliéron (†1627) pour Etienne Michel.

Republié à plus d’une trentaine de reprises dans toute l’Europe jusqu’au XVIIIe siècle, Le Imagini con la sposizione de i dei de gli antichi est fréquemment enrichi de nouvelles illustrations à l’instar des gravures sur bois réalisées par Giuseppe Porta Salviati (1520-1575) ou Bolognino Zaltieri (actif de 1555 à 1576). Chaque divinité est décrite et est associée à un ensemble de symboles, vêtements, expressions, poses, attributs, cérémonies, légendes qui apparaissent aussi sur les gravures.

En proposant des descriptions et des interprétations des dieux antiques, Le Imagini con la sposizione de i dei de gli antichi a eu une influence considérable sur les peintres, les poètes et sur les écrivains d’art : Paul Véronèse lui-même (1528-1588) s’en inspire. S’il puise son inspiration chez des auteurs plus anciens, Vincenzo Cartari propose et crée tout de même une nouvelle approche visuelle de l’Antiquité. Il nous permet pour notre part de comprendre la manière dont les hommes et femmes de la Renaissance percevaient et appréhendaient les dieux et déesses de la Rome antique, non sans quelques interprétations fautives et contresens.

Gravure de la page 430

L’exemplaire de la médiathèque contient une petite particularité : un fragment de la gravure qui est placée à la page 430 a été découpé et retiré du livre ! La créature qui se trouve aux pieds de Minerve, à côté de sa lance, et qui figure sur le petit bout de papier qui a été ôté n'est autre qu'un coq. Les motivations qui ont poussé le lecteur à découper l'image nous sont inconnues.